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Transformation numérique : vitesse ou précipitation ?

Bonjour Michel Mondet.
Bonjour Thibault.

Vous êtes président d’Akeance Consulting. Vous êtes un habitué de ce plateau, et l’on sait que vous avez tendance à vous méfier des buzzwords du monde managérial et du monde du conseil. C’est pourquoi je vous propose d’évoquer aujourd’hui un concept bien dans l’air du temps, c’est celui de la transformation numérique de l’entreprise. On nous dit dans la littérature managériale que cette transformation d’entreprise c’est une condition non seulement de performance des entreprises, mais aussi de survie à l’ère du numérique face au déferlement du numérique. Alors première question : qu’est-ce que vous en pensez ?

Oui, la transformation numérique, c’est dans l’ère du temps, je vous le confirme. Alors il faut se méfier aussi de la bouteille à l’encre. Vous savez chez Akeance on entend parler tous les jours de projets de transformation, de transformation numérique, de projets numériques etc. Revenons au numérique : je crois que les outils numériques ont emporté, avec leur capacité à évoluer vite, un impact sur la sociologie. Il y a une vraie sociologie du numérique qui est l’accélération du temps. On veut aller de plus en plus vite, parce que les outils eux-mêmes évoluent de plus en plus vite. Cette conséquence, vous la voyez tous les jours : il faut que les investissements soient de plus en plus rentables. Les quick wins deviennent même une expression plus vraiment à la mode, parce que c’était presque avant le numérique si vous voulez. Mais on le voit même dans le langage : l’accélération du langage qui fait que les raccourcis, les surnoms n’ont plus qu’une syllabe, parce qu’il faut aller encore plus vite. Cet impact-là est fort, et c’est vrai que cela marque beaucoup les projets de transformation numérique, la rapidité du temps. A côté de cela, vous avez dans les projets de transformation, on y embarque autre chose. Comme les outils numériques sont eux-mêmes plutôt flatteurs in fine, parce qu’ils sont proches de la spontanéité de l’utilisateur, on y embarque beaucoup de volonté de progrès sociétal. Il y a dans un projet de transformation numérique, souvent, un participatif qui tourne au progrès sociétal. Ce sont évidemment tous ces workshops que vous imaginez, les comités de pilotage et autres qui font participer beaucoup de gens sur ces projets. Un petit comme si, d’ailleurs, les projets de transformation et la transformation elle-même allaient rendre les gens plus heureux. Il y a dans tout ça une petite fuite, on en a parlé sur une autre émission, il y a une petite fuite, je pense, de la responsabilité des managers là-dessus.

Quels sont les effets pervers selon vous de cette course à la transformation numérique ? De cette transformation pour la transformation ?

Là aussi, je pense qu’il y a deux effets pervers : un premier effet qui tient vraiment à la rapidité. C’est d’avoir moins de rigueur, dit simplement. On fait moins attention, on va plus vite, ce n’est pas grave. Donc le relativisme l’emporte sur la rigueur, et de manière un peu excessive, parce que l’on finit par inventer des méthodes agiles qui corrigent des méthodes qui sont simplement mal appliquées. Pas forcément mauvaises, mais mal appliquées. Parce que le temps est trop pressé, parce que la rigueur n’est pas au rendez-vous.

Encore un buzzword, d’ailleurs.

Du reste oui, vous avez raison. Deuxième conséquence, elle est un peu dans une forme de fétichisme. Comme ces outils sont sympathiques, et pour tout le monde du reste, que ce soient les tablettes ou d’autres formes du numérique, d’accès aux données dans le big data etc, vous avez plein de sujets qui font en sorte que l’on est sensible au me-too strategy. On n’a pas envie d’avoir raté hier dans l’entreprise. Et ceci génère vraiment un phénomène un petit peu moutonnier comme s’il fallait impérativement être à l’état de l’art de demain et pas forcément à l’état de l’art d’aujourd’hui. Puis surtout pas à l’état de l’art d’hier.

Mais alors si vous me le permettez Michel : on entend ces critiques que vous formulez à l’encontre de tous ces projets de transformation, mais c’est un petit peu le fond de votre métier d’accompagner en tant que consultant les entreprises dans leur transformation !

Oui, vous avez raison Thibault. Ce n’est pas tout à fait une critique, c’est plus un constat. Et de ce constat, moi j’en tire quelque chose d’un peu paradoxal. On s’appelle cabinet de conseil, vous le savez très bien. Mais je trouve que c’est de plus en plus difficile de maintenir cette idée de conseil. La plupart de nos clients sont relativement peu intéressés quand même par le principe de la méthode, par nos expériences de méthode, les risques et enjeux d’une méthode. Les clients sont de plus en plus sensibles à : « Est-ce que vous avez le bon profil pour faire telle et telle chose ? » Donc il y a une sorte de dégradation de la commande, je le dis très simplement avec le respect que l’on a pour nos clients, et qui demandent des profils et des CV plutôt que des méthodes et des expériences. Evidemment, chez Akeance, on essaie de promouvoir le plus possible ce concept de projet, avec un projet bien identifié, avec une conduite de projet bien clarifiée et comprise par tout le monde. De la rigueur et une gestion du temps qui soit respectée.

Et bien merci beaucoup Michel Mondet. Encore une fois, votre franc-parler vous honore. Merci encore.
Merci Thibault.

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