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Les produits dérivés ont un rôle important dans l’économie mais ils présentent également un certain nombre de risques. La crise a montré que ces risques n’étaient pas suffisamment couverts sur la partie gré à gré du marché, notamment en ce qui concerne les "contrats d’échange sur défaut" [1]. La déroute d’AIG aux Etats-Unis a mis en évidence l’opacité, le risque de contrepartie et la taille des marchés OTC [2]. Alors, comme les autorités américaines, les autorités européennes visent à structurer ces marchés pour assurer la transparence et limiter les risques.
Le régulateur européen, suite au G20 de Pittsburgh en 2009, a récemment déterminé les obligations qui mettront désormais au grand jour les transactions faites jusqu’alors en dehors du marché. La réglementation EMIR [3] est donc entrée en vigueur le 16 août 2012 et son application est prévue dès 2013 après validation des standards techniques par les instances européennes. Elle introduit trois obligations pour toutes les entreprises ayant souscrit un produit dérivé, listé ou de gré à gré.
Tout d’abord, une obligation de déclarer l’ensemble des produits dérivés auprès des référentiels centraux que sont les « trade repositories » (TR). Elle se réalisera par la transmission de données qui sont dès lors déjà précisées et listées par la « European Securities and Market Authority ». Ces informations permettront d’une part d’identifier la contrepartie et d’autre part de caractériser le contrat.
Ensuite, une obligation de compenser les OTC éligibles [4] auprès d’une chambre de compensation centrale (CCP). Cependant, pour les entreprises non financières, cela ne pourra se faire qu’après analyse des portefeuilles d’OTC non qualifiés de couverture. En effet, la compensation est obligatoire que si certains seuils sont atteints par les nominaux des portefeuilles [5]. Pour l’instant, les seuils déterminés par EMIR sont assez larges et il nous semble que peu de groupes non financiers risquent d’être assujettis à cette obligation.
Dans le cas où un groupe n’a pas à satisfaire cette obligation de compensation, le législateur prévoit néanmoins de faire appliquer des mesures de limitation des risques. Cela commence dès la réalisation d’une transaction par une obligation de confirmation de celle-ci dans un délai de quelques jours. Mais ces délais auront tendance ensuite à être réduits puisque l’objectif est d’atteindre un jour de délai pour pouvoir correspondre avec la date de « settlement ». Ensuite, tout au long de la vie du portefeuille d’OTC, celui-ci devra faire l’objet de rapprochements et de compressions réguliers. Une entreprise devra réconcilier son portefeuille semestriellement si elle a plus de 100 transactions en cours, annuellement sinon. La compression de portefeuille, quant à elle, sera une obligation pour les entreprises ayant plus de 500 transactions en cours afin de réduire les risques de contrepartie. Enfin, la dernière mesure prévue par la réglementation est en fait transversale puisqu’il s’agit d’assurer la résolution de différends. Il s’agira alors que les contreparties s’accordent avant une transaction sur les procédures, processus et calendrier de suivi et de résolution de litiges.
Si la volonté de transparence et de limitation des risques est louable et que la réglementation peut être vue positivement, c’est sans compter sur les impacts opérationnels qu’elle induit. EMIR n’est pas neutre pour les entreprises. Elle impactera significativement les trésoreries d’entreprises, tant dans leurs façons de travailler que dans les moyens qu’elles auront à mettre en œuvre pour la satisfaire.
Se mettre en conformité avec EMIR nécessitera de façon évidente de pouvoir identifier, collecter, extraire, communiquer de l’information liée aux dérivés, suivre et piloter les collatéraux, donc gérer de l’information de façon précise et régulière ; mais aussi d’envisager les moyens idoines pour automatiser la chaîne de traitement de l’information de bout en bout (« straight through processing »). Ce qui signifie, suivant les cas, de faire évoluer les systèmes d’information et en tous cas de mettre en place des interfaces avec les acteurs du marché.
Cette mise en conformité imposant de nouvelles tâches et de nouveaux outils dans la gestion des dérivés impliquera de mettre en place les processus adéquats qui peuvent être communs à plusieurs services au sein de l’entreprise. De même, vis-à-vis de l’extérieur, elle imposera de gérer en conséquence la relation avec les partenaires.
Ces nouvelles tâches, processus et procédures tout au long de la chaîne de gestion entraîneront alors la révision du modèle opérationnel « front to back » et la mise en place d’une organisation adaptée. Au même titre que SEPA [6], notamment pour ce qui concerne le prélèvement, EMIR laisse présager des projets de mise en conformité qui ne vont pas être anodins pour les trésoreries d’entreprise.
Face à cela, certains diront que tout n’est pas encore très clair et que certaines zones d’ombre persistent. Serait-il alors urgent d’attendre ? De toute évidence, non ! Force est de constater que la prise de conscience des impacts d’EMIR est encore bien insuffisante alors que ni processus ni systèmes au sein des entreprises ne sont adaptés et que l’échéance est proche. Bien que la réglementation ne soit pas stabilisée dans ses moindres détails, des travaux préparatoires à la mise en conformité peuvent être d’ores et déjà anticipés.
[1] Credit Default Swaps ou CDS
[2] « Over The Counter » ou « de gré à gré »
[3] European market infrastructure regulation
[4] Inscrits au registre de la « European Securities and Markets Authority »(ESMA)
[5] Si les nominaux dépassent un milliard d’euros pour les dérivés de taux, de change ou de matière première, ou dépassent trois milliards d’euros pour les dérivés de crédit et action, alors l’entreprise non financière doit compenser centralement l’ensemble de ses dérivés OTC
[6] Single Euro Payment Area