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L’exercice pilote : quesako ?
L’Agence Bancaire Européenne (EBA – European Banking Agency) a lancé en 2020 un exercice pilote sur le risque climatique en complément de plusieurs initiatives menées par les superviseurs, les banques centrales et les établissements européens d’assurance, de gestion d’actifs et bancaires. Cet exercice s’inscrit dans le cadre du mandat de l’EBA fixé par l’article 98 de la CRR2. A ce titre, l’EBA doit déterminer des critères quantitatifs et qualitatifs adaptés, incluant des stress tests, pour permettre aux établissements bancaires d’évaluer l’impact des risques ESG (Environnementaux, Sociaux et Gouvernance).
29 banques européennes se sont portées volontaires pour réaliser cet exercice sur leurs expositions aux grandes entreprises (données à décembre 2019 sur 477 000 contreparties représentant une exposition totale de 2,35 billions d’euros[1]).
Cet exercice, dont les résultats ont été publiés le 21 mai dernier, a permis une première mesure de l’exposition des banques européennes sur des secteurs green (« niveau green ») et de sensibilité aux chocs climatiques. Toutefois, le manque d’informations sur certaines contreparties, l’hétérogénéité des pratiques et des outils d’évaluation encore à parfaire n’ont pas permis de mener des simulations / stress tests en bonne et due forme. Des méthodologies et méthodes déjà éprouvés par l’EBA et/ou la BCE ont été appliquées aux données remontées par les banques de l’exercice pour afficher une tendance...mais la route est encore longue pour obtenir des évaluations pertinentes et comparables du risque climatique pour les banques européennes.
Le « niveau green » du secteur bancaire européen
Les banques seront tenues dès 2022 de classer leurs expositions selon la taxonomie européenne sur les activités vertes[2] afin de calculer et publier le « green asset ratio ». Il ne reste donc que quelques mois pour anticiper ces exigences.
En tant que financeur de l’économie, les banques sont en mesure d’orienter les financements et les investissements vers des activités respectueuses de l’environnement. Dans le cadre de l’exercice, les banques ont été incitées à utiliser la taxonomie européenne pour qualifier le niveau « green » de leurs expositions. Les principales difficultés rencontrées ont été :
[1] Les informations de contrepartie portaient sur l’exposition, les paramètres de risque, les RWA et le secteur NACE 2 de niveau 4.
26 des 29 banques participantes ont pu conduire l’exercice. Sur 2,1 billions d’euros, 0,7 billion d’euros d’exposition portaient sur des contreparties dont le secteur principal appartient à une classe NACE incluse dans la taxonomie européenne. Toutefois, cette approche ne permet pas une appréciation pertinente de la réelle exposition « green ». En effet, le secteur d’activité principal d’une contrepartie ne reflète pas toujours la diversité d’activités exercées par ses filiales. De plus, certains financements peuvent servir à un projet dont le sous-jacent est « green » / durable alors que la contrepartie intervient sur un secteur « non green »…
Afin de permettre une première estimation du « green asset ratio » qui devra être publiée en 2022, l’EBA a appliqué sa méthodologie[1] aux données remontées par les banques de l’exercice. Cette méthodologie précise les actifs et les flux à prendre en compte pour déterminer l’exposition « green » et les coefficients à appliquer. Ces travaux ont permis d’aboutir à un « green asset ratio » moyen de 7,9%.
Dans la perspective de publication du ratio en 2022, les établissements bancaires doivent se mettre en ordre de marche pour, d’une part, le produire et, d’autre part, apporter les explications qui seront fournies en Pillier 3.
La frustration de ne pas pouvoir réaliser de stress tests à partir des informations remontées lors de l’exercice
Les banques se sont efforcées de classer leur exposition pour estimer leur sensibilité aux politiques de transition mais l’exercice n’a pas permis d’élaborer un modèle de stress tests du risque climatique à partir de ces informations.
Les banques ont déterminé la part d’exposition sensible aux politiques de transition écologique selon deux approches : l’approche CPRS[2] et l’approche GHG[3] sur le niveau d’émission des gaz à effet de serre des acteurs.
L’approche CPRS permet d’assortir à un secteur un niveau de sensibilité aux politiques de transition. Les banques ont été en mesure de classer 2,34 billions d’euros (98% de l’exposition totale) selon cette approche. 58% de l’exposition totale portent sur des secteurs sensibles. Il s’agit principalement des expositions sur les secteurs Manufacturing, Immobilier et Electricité.
L’approche GHG permet d’identifier le niveau d’intensité des émissions de gaz à effet de serre des acteurs. 17% des contreparties ont pu être classés et un proxy a été utilisé pour 65% des autres contreparties. 35% de l’exposition totale concernent des acteurs dont les émissions de gaz sont supérieures à la médiane et donc sensibles à des politiques de transition (mise en place de la taxe carbone, coupe des subventions pour les énergies fossiles,…).
[1]https://www.eba.europa.eu/sites/default/documents/files/document_library/About%20Us/Missions%20and%20tasks/Call%20for%20Advice/2021/CfA%20on%20KPIs%20and%20methodology%20for%20disclosures%20under%20Article%208%20of%20the%20Taxonomy%20Regulation/963616/Report%20-%20Advice%20to%20COM_Disclosure%20Article%208%20Taxonomy.pdf
[2] CPRS (Climate Policy Relevant Sectors) est un classement en 8 catégories des secteurs d’activités pour évaluer leur risque de transition climatique, développé par Battiston et al. en 2017.
[3] GHG (GreenHouse Gas) est un protocole international proposant un cadre pour mesurer et gérer les émissions de gaz à effet de serre provenant des activités des secteurs privés et publics.
L’approche CPRS, qui repose sur les secteurs d’activités, permet de couvrir la quasi-totalité de l’échantillon. Toutefois, cette classification repose sur l’activité principale de la contrepartie qui ne permet pas systématiquement de capter son niveau réel de développement durable. En effet, une contrepartie peut exercer une activité peu sensible au risque climatique tout en ayant un niveau d’émission de gaz à effet de serre important. L’approche GHG, par le niveau d’émission de gaz à effet serre des acteurs, semble plus pertinente mais le nombre de contreparties dont l’information est disponible reste limitée. Enfin, les deux approches n’intègrent pas de vision prospective.
Une approche alternative a été retenue, à partir d’un modèle développé par la Banque Centrale Européenne[1], pour obtenir l’impact des chocs climatiques sur la perte attendue.
Deux scénarios de stress ont également été appliqués sur l’exposition remontée par les banques pour évaluer l’impact sur la perte attendue (expected loss) liée au risque de crédit. Le premier scénario prévoit que les politiques climatiques ne sont pas mises en place d’ici 2030 ou inefficaces, conduisant à un risque élevé de transition (disorderly scenario). Le second scénario prévoit qu’aucune autre politique n’est mise en place et que le réchauffement climatique abouti à + 3 degrés, conduisant à des changements irréversibles et des catastrophes naturelles dommageables. La perte attendue supplémentaire représente respectivement 160 et 175 bps du RWA de l’exposition totale.
Plusieurs limites sont affichées par rapport à ces stress tests. Tout d’abord, la modification possible des portefeuilles suivant les stratégies adoptées par les banques n’est pas prise en compte. De plus, l’analyse couvre uniquement une partie de l’exposition européenne qui n’est peut-être pas représentative. Les chocs appliqués sur les paramètres de calcul de perte attendue (PD et LGD) ne sont pas déterminés à partir des données de l’exercice mais issus d’un modèle BCE et ne prennent pas en compte la classification réalisée par les banques (CPRS ou GHG).
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Retour à la case départ : l’accès à l’information est la clé pour identifier et mesurer les risques climatiques
En synthèse, les résultats obtenus sont à prendre en compte avec réserve. L’estimation du risque climatique suppose d’accéder à des informations dont les banques ne disposent pas ou pas suffisamment. La collecte de ces informations est le principal défi. La standardisation de l’information est également un enjeu. Les interprétations multiples peuvent fausser les résultats et limiter la comparabilité entre les différents acteurs. Enfin, les outils d’évaluation, au même titre que ceux utilisés par l’ACPR dans son exercice récent de stress tests climatiques, doivent être affinés et enrichis afin de capter au mieux le risque climatique et permettre des prises de position et des décisions éclairées.
[1] https://www.ecb.europa.eu/press/blog/date/2021/html/ecb.blog210318~3bbc68ffc5.en.html