L’e-sport : nouvel espace des stratégies de marque ?
L’e-sport, ou « jeu-vidéo de compétition », s’est développé en Europe à la fin des années 1990 et s’y est démocratisé au cours des 15 dernières années.
On définit l’e-sport comme la pratique, seul ou en équipe, d’un jeu-vidéo dans le cadre de compétitions officielles. On ne parle pas ici de « sports virtuels », mais bien de compétitions de jeux-vidéo. On retrouve ainsi différents types de jeux, cachés derrière de nombreux acronymes (FPS, MMORPG, MOBA, RTS, …), chacun désignant une discipline à part entière.
Il n’existe pas de statistique précise sur le nombre de joueurs ni sur le nombre de jeux. On estime cependant qu’en Europe, l’e-sport a rassemblé plus de 30 millions de spectateurs réguliers (individus assistant à une compétition plus d’une fois par mois) et a généré 345 millions d’euros de revenus en 2022.
La rentabilité potentielle des investissements marketing dans ce nouvel espace stratégique semble néanmoins difficile à estimer, notamment pour des marques non-spécialistes.
Afin de l’estimer au mieux, il convient d’abord de comprendre l’écosystème composant le marché de l’e-sport et d’en interroger les grandes tendances ainsi que le potentiel de son public. Enfin, il convient d’y identifier les opportunités d’investissements marketing et leur apport concret en termes de visibilité.
1. Un écosystème en développement à la recherche de son modèle d’affaires :
Le marché de l’e-sport et celui du jeu-vidéo sont deux marchés différents. Ainsi, il convient de distinguer leur maturité, leurs revenus et leurs activités. Le marché de l’e-sport comprend l’ensemble des activités économiques menées dans le cadre de la gestion d’écuries d’e-sport, de l’organisation de compétitions et de la diffusion de celles-ci. Le marché du jeu-vidéo désigne en revanche le développement et la commercialisation de logiciels de jeu : soit environ 186 milliards d’euros en 2022. Ainsi, même s’ils ont en commun leur sous-jacent numérique, il s’agit bien de deux marchés distincts.
Du fait de la jeunesse relative de ce marché, les rôles des acteurs de l’e-sport sont encore fluctuants. On en distingue toutefois cinq grandes catégories :
- les éditeurs, en charge du développement et de la mise à jour des jeux-vidéos autour desquels existe un écosystème e-sportif ;
- les organisateurs, en charge des différents événements d’e-sport ;
- les diffuseurs, en charge de la retransmission globale ou locale des événements d’e-sport. On y distingue les plateformes et les chaînes de diffusion. Les plateformes mettent à disposition leur technologie aux chaînes, lesquelles y diffusent leurs contenus, à l’image de chaînes de télévision ;
- les écuries, en charge de la constitution d’équipes (appelées rosters) de joueurs professionnels ;
- les sponsors, principaux financeurs des trois catégories précédentes.
Les modèles économiques de ces acteurs ne sont pas encore parfaitement définis. A titre d’exemple, il arrive de plus en plus fréquemment que les éditeurs soient également organisateurs et diffuseurs majeurs des principales compétitions d’e-sport autour de leurs propres jeux-vidéo. Pour illustrer ce propos, on peut mentionner l’éditeur Riot Games et son jeu League of Legends. Riot Games dispose de chaînes officielles diffusant leurs compétions en anglais, mais autorise la diffusion locale des mêmes contenus (en France, en Espagne, au Brésil par exemple) par des organisations tierces.
2. L’e-sport : un domaine en plein essor auprès d’un public à fort potentiel.
Au-delà de la taille de son marché en Europe, l’e-sport a connu une croissance soutenue dans les dernières années, laquelle devrait se poursuivre pour les cinq ans à venir.
Historiquement, on observe au niveau mondial une croissance annuelle moyenne de près de 13% : en 2017 les cinq catégories d’acteurs ont réalisé un chiffre d’affaires de près de 750 millions d’euros sur le marché de l’e-sport, et environ 1,38 milliards d’euros en 2022. Pour le marché européen, cela correspond à une croissance des revenus de 190 à 345 millions d’euros sur la même période. Dans les cinq ans à venir, la croissance prévue est à deux chiffres. Celle-ci nous amènerait en Europe à quelques 550 millions d’euros de revenus d’ici 2027.
Toutefois, ce chiffre ne prend pas en compte les revenus indirects issus du sponsoring et de la publicité diffusée sur cet espace. Ainsi, comprendre l’intérêt de ce marché pour une marque non-spécialiste demande de s’intéresser au potentiel du spectateur-type d’événements d’e-sport. Parmi les spectateurs réguliers : 74% travaillent à temps plein, 44% font partie de « foyers aisés », 46% ont entre 21 et 35 ans, et deux-tiers sont des hommes. Concrètement, le profil type du spectateur d’e-sport se rapproche plus de celui du jeune cadre que de l’étudiant passionné : un profil indépendant à fort pouvoir d’achat.
Au niveau mondial, on estime que cette audience devrait croître en moyenne de plus de 7% chaque année dans les cinq ans à venir, nous menant, en Europe, à un total d’environ 42 millions de spectateurs répartis sur les différents jeux et compétitions. Ces chiffres varient néanmoins en fonction des jeux et des géographies. A titre d’exemple, la LFL (Ligue Française de League of Legends) a attiré en moyenne 50 000 spectateurs français par match au printemps 2021, et en moyenne 65 000 spectateurs français par match au printemps 2022, soit une croissance de 30% d’année en année.
3. Des opportunités d’investissements marketing à géométrie variable.
L’investissement en visibilité est nécessairement soumis aux spécificités du canal sur lequel il est réalisé. La nature numérique de l’e-sport et de ses circuits de diffusion offre la possibilité d’une stratégie de layering des contenus, c’est-à-dire la possibilité d’investir, séparément ou simultanément, à différentes étapes de la « chaîne de diffusion ».
On distingue quatre niveaux d’investissements marketing potentiels :
- Investir en publicité sur les plateformes de diffusion (la plus populaire en France étant twitch.tv). Celles-ci offrent en effet la possibilité aux entreprises de diffuser leurs contenus publicitaires à la main de la plateforme.
- Sponsoriser une chaîne de diffusion (la plus populaire en France étant One Trick Production). Celles-ci permettent à leurs sponsors de profiter d’une visibilité directement intégrée au « flux de diffusion », ce qui la rend inévitable pour les spectateurs.
- Financer et sponsoriser des événements d’e-sport. En effet, en échange du financement partiel d’un événement majeur d’e-sport, un éditeur peut être amené à intégrer ponctuellement le sponsor au sein du jeu. Ainsi, les championnats du monde de League of Legends ont été sponsorisés par Mastercard en 2020, et les spectateurs ont pu remarquer des bannières à l’effigie de la marque directement dans le jeu.
- Enfin, reste la possibilité de co-investir (ou d’investir en solitaire) dans la création d’une écurie d’e-sport. Cela a par exemple été le choix de LDLC, qui a créé sa propre écurie d’e-sport en 2010, devenue depuis « LDLC OL » suite à une prise de participation par l’Olympique Lyonnais en 2020.
Malgré leur nature numérique, les enjeux marketing de l’e-sport sont semblables à ceux du sport traditionnel. Sa complexité apparente et sa nouveauté relative interrogent encore une partie des entreprises non-spécialistes. Pour autant, l’e-sport n’est qu’un canal de communication numérique supplémentaire pour les marques : un canal probablement sous-exploité aujourd’hui au vu de la qualité de son audience ainsi que de son dynamisme.