De l'affectio societatis à "je kiffe ma boite" ?
Michel Mondet :
L’affectio societatis. Voilà une expression latine qui est de moins en moins connue des plus jeunes collaborateurs, ce n’est ni plus ni moins que l’affection qu’on a pour sa boite, c’est la sympathie, l’amour qu’on a pour le produit, le service délivré par son entreprise.
Et c’est vrai qu’il y a quelques années, c’était très fort dans beaucoup d’entreprises. C’était très fort chez Air France, on était de la compagnie qui voulait tout dire ; c’était très vrai chez Peugeot où des ouvriers de Sochaux allaient à la Peuj comme on disait, parce qu’ils étaient très fiers évidemment des productions sur les lignes de Peugeot à Sochaux, et c’était très vrai dans les ETI ou chez les artisans etc… On avait le plaisir de dire qu’on travaillait à « la main des ébénistes » de tel ou tel endroit parce que « la main des ébénistes » était la référence en matière d’ébénisterie.
Et cet affectio societatis s’est réduit peu à peu au fil des années. Aujourd’hui on a peu d’affectio societatis, alors pourquoi :
- La première raison de fond je pense que c’est une conséquence un peu de la pensée unique qui fait que l’entreprise est devenue une méchante personne, au mieux l’entreprise il faut la subir, au pire il faut la craindre. Alors même que les collaborateurs sont membres de l’entreprise, ils sont constitutifs de l’entreprise. Et ça c’est majeur comme dérive ce qui fait perdre un peu l’affection societatis en entreprise.
- Et puis il y a la deuxième raison qui est tout à fait récente, c’est les deux ans confinement/ télétravail qu’on vient de vivre, qui font que effectivement il est difficile d’avoir de l’affectio societatis quand on n’est pas tous ensemble autour d’un projet, quand on est à distance, quand on se réunit partiellement parce que les consignes sanitaires font qu’on est obligé d’être séparés les uns des autres.
Pour mieux se comprendre sur ce que c’est l’affectio societatis je prendrai deux images :
- La première image c’est un jeu de carte. Quand on joue aux cartes, on est très content de jouer aux cartes et peu importe les différences de compétence, peu importe les bonnes chances, pas bonne chance dans les tirages de carte etc… on a une main et on joue, on joue au mieux, on est fier d’avoir joué, on est content d’avoir participé et on est de facto tolérant, solidaire des autres sur la partie qui vient de se jouer.
- C’est pareil sur l’autre image qu’est la randonnée. Quand on fait une randonnée évidemment ça dure des heures. On n’est pas tous en pleine forme au même moment, évidemment tout le monde n’a pas les mêmes talents sportifs et évidemment il y a toujours un qui finit par manquer d’eau et il faut lui prêter sa gourde. Mais là-aussi à la fin de la randonnée on est tous très fiers d’avoir fait cette randonnée. C’est ça l’affectio-societatis en entreprise.
Alors vous allez me dire comment faire pour retrouver l’affectio-societatis dans une entreprise.
Je pense qu’il y a deux voix importantes : la première c’est de saisir l’opportunité de la fin de cette période difficile de confinement et de télétravail forcé. Pour faire en sorte que les équipes réapprennent à aimer le travail. Il faut être fier de ce qu’on fait, fier de son travail pour reprendre le goût de l’entreprise, du produit et service vendus, la fierté de sa marque etc.
Et puis aux managers ou en général aux dirigeants à faire en sorte à travers la communication et l’évènementiel qu’on puisse redonner le goût de la marque et du produit à l’ensemble des collaborateurs.
Chez Décathlon, régulièrement, on demande aux équipes s’ils sont contents de venir au travail.
C’est une bonne formule et on pourrait à ce moment-là changer l’expression affectio societatis en « j’aime mon job ou je kiffe ma boite ».